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Le festival des jeux pour la paix : outil pour la cohésion sociale et le respect des normes

Initiatives des membres au Liberia

Odile Bulabula, Coordinatrice adjointe du Réseau d’Innovation Organisationnelle

Imani Bandibaderhe, animateur des jeunes au sein du RIO

Uvira, festival des jeux, août 2013, entre jeunes de différentes tribus : Rwandais et Congolais des tribus Bavira, Bafuliiru, Barundi, Banyamulenge, Banyindu, Balega, Bashi et autres.


Depuis la nuit de temps, la croissance démographique rapide et la diversité culturelle mondiale ont toujours été accompagnées par une faible cohésion sociale. Et pourtant, selon l’Unesco (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture), la diversité culturelle est « une force motrice du développement » et un «  atout indispensable pour atténuer la pauvreté et parvenir au développement durable ».

La diversité culturelle se manifeste par la reconnaissance de différentes langues, histoires, religions, traditions, de différents modes de vie ainsi que toutes les particularités attribuées à une culture. La culture est définie, selon l’Unesco, comme l’ensemble des traits distinctifs spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social .

L’Afrique sub- saharienne a été pendant longtemps le théâtre des guerres par procuration qui découlaient de la rivalité Est-Ouest pendant toute la période de la guerre froide du fait des affrontements idéologiques entre le bloc capitaliste et le bloc socialiste. Avec la fin de la guerre froide, la population africaine espérait au décollage du développement socio-économique plutôt qu’à la guerre, à la famine et à la pauvreté qui continuent à décimer des milliers des personnes du fait des manipulations idéologiques des hommes politiques et de la prédominance de la conscience tribalo- ethnique sur la conscience nationale.

Mr NGODI, dans son ouvrage intitulé Globalisation, Violence et reconstruction post conflit dans la région des grands lacs africains, estime que la région des Grands Lacs Africains, aujourd’hui, traverse l’une des périodes les plus sombres de son histoire : l’insécurité grandissante due à la guerre interminable, la crise socio- économique et politique, culturelle et religieuse. Pour lui, ce qui échappe aujourd’hui, c’est la capitulation régulière de la population devant les structures d’oppression, de suppression, de violence et du statu quo socio- économique, politique, culturel et religieux. Ainsi, dit-il, les relations entre les différents peuples doivent être rétablies et reconstruites pour une véritable paix durable, qui autorise et favorise la reconstruction dans la région des Grands Lacs .

Les guerres à répétitions et la lutte du pouvoir ont généré le développement de préjugés, l’intensification des stéréotypes entre les différentes communautés tribales vivant dans la région des Grands Lacs. Sur base de la manipulation de l’identité tribale et ethnique, les peuples du Rwanda, du Burundi et de la République Démocratique du Congo, sont devenus très violents et peu hésitants aux actes de vandalisme. Leur comportement est caractérisé par une intolérance mutuelle, un manque de confiance, une indifférence, une suspicion, des préjugés multiples, un esprit de vengeance caractériel se manifestant par les tueries, les massacres, les viols, les actes de sabotage, … ayant renforcé la haine et la discrimination.

Dans ce spectre de violence, les jeunes ont emboité les pas à leurs parents à travers une éducation qui leur a été imposée et visant à pérenniser la culture de la violence dans la région.

C’est dans ce contexte que s’explique la présence d’une multitude des groupes armés actifs, constitués à majorité des jeunes semant la terreur et la désolation au sein de la population à tout moment quand ils estiment être insatisfaits dans leurs revendications. Cet activisme des jeunes dans des pratiques violentes est consécutif au faible niveau de leur encadrement tant par l’Etat que par les parents. Il s’observe donc un faible niveau d’instruction des jeunes pesant sur leur sens critique ; les parents n’étant pas en mesure de payer les frais de scolarité. Le manque d’emploi et le chômage versent ces jeunes dans la naïveté et l’oisiveté lesquelles les livrent à la merci des adultes mal intentionnés, étant donné que les investisseurs estiment qu’au vu de la recrudescence de l’insécurité, de la sur taxation et des tracasseries de tous ordres, la RDC n’offre pas un cadre d’affaires favorable.

C’est dans le souci de faire face aux fléaux de « stéréotypes et préjugés » qui gangrènent la région de Grands Lacs Africains que le RIO organise des activités transfrontalières (camps de paix, festivals des jeux pour la paix, séminaires et ateliers,..) dans le but de sensibiliser, d’informer et de familiariser la jeunesse au respect des normes et de la différence, à la nécessité de la complémentarité, de la tolérance et de l’acceptation mutuelle pour une cohésion sociale. L’outil ‘festival des jeux pour la paix’ s’adresse aux jeunes pour une meilleure transformation sociale. A travers ces festivals de jeux pour la paix, le Réseau d’Innovation Organisationnelle attend montrer comment les jeux peuvent contribuer au rétablissement de la cohésion entre les communautés en conflits et servir des normes pour la régulation de la vie au quotidien.

Le festival des jeux pour la paix : outil pour la cohésion sociale

Le jeu est une activité de convergence qui rassemble, autour d’une même activité, des personnes aux visées divergentes à concourir vers les mêmes objectifs. Même pendant que le baromètre personnel atteint des sommets, il sert à déstresser les esprits moralement surchargés par des stress et traumatismes. Il tisse de liens entre les personnes et les communautés opposées, les amenant à s’apprécier mutuellement, à découvrir les qualités des uns et des autres ; ce qui crée entre elles des nouvelles considérations souvent constructives.

A travers le festival de jeux pour la paix, les conflits opposant les groupes sont dissipés, les parties cultivent entre elles de nouvelles perceptions, se découvrent et bâtissent de nouvelles relations. Lorsque deux personnes jouent ensemble, elles se rapprochent physiquement, leurs cœurs et leurs esprits entrent en interaction si bien qu’elles développent des perceptions positives lesquelles elles ne pouvaient pas découvrir lorsqu’elles s’évitaient. Les jeux brisent les barrières physiques et psychologiques tout en offrant un élan positif à l’âme, à l’esprit et au corps qu’ils détendent. Nous l’avons constaté lors des derniers festivals que nous avons réalisés avec les jeunes. Car, à l’entrée de jeux, les participants étaient timides, crispés, refermés en groupuscules les uns les autres selon leur provenance ou selon leurs appartenances tribales. Mais, au fur et à mesure que nous étions plongés dans les jeux, les groupuscules éclataient et laissaient la place à un ensemble hétérogène et harmonieux des jeunes où dominent rires et sourires, signes d’une satisfaction.

C’est ainsi qu’au terme du festival des jeux pour la paix organisé en faveur des jeunes en novembre 2012 à Bukavu et août 2013, dans les Territoires de Fizi et d’Uvira, nous avons recueilli les témoignages suivants :

Témoignage 1 : Je suis un jeune « Bembe », orphelin de tous mes parents depuis l’année 2002. Mes parents, mes 4 petits frères et 3 petites sœurs avaient été brûlés vifs enfermés dans une maison par les Banyamulenge. Depuis, j’ai développé un esprit de rancune et de vengeance à l’endroit de toute personne de la communauté Banyamulenge. Je ne pouvais pas les saluer et chaque fois que je les voyais, je me tenais à la défensive, car me disais-je être en face d’un criminel. Si l’occasion m’était offerte, j’étais prêt à faire du mal ; venger mes frères. J’ai même hésité de venir participer à ces jeux, car des Banyamulenge devraient y prendre part ; il a fallu que mon ami insiste afin que j’y participe. A la fin de la première journée des jeux, j’ai trouvé que tous n’étaient pas de criminels. J’ai cessé de les déshumaniser et un d’entre eux est devenu mon ami ; il loge chez moi et je le nourris quand il séjourne à Baraka.

Témoignage2 : Au départ, je croyais que les Rwandais ne pouvaient pas parler activement avec les Congolais. Mais à travers le festival des jeux, mon cœur était ouvert à l’endroit de toutes ces personnes. Je ne savais plus distinguer qui était Rwandais et qui ne l’était pas. Nous parlions et nous jouions ensemble, et en ce moment, j’ai oublié mes perceptions que j’avais des Rwandais.

‘'cet exercice d'étirement mutuel nous permet de toucher n'importe qui sans savoir au préalable son origine éthnique''

Le festival des jeux pour la paix : outil d’éducation à la paix axé sur les normes

Toute société est régie par des normes lesquelles réglementent la conduite des personnes et dont la non observance constitue une atteinte aux objectifs assignés à cette société. Le festival des jeux pour la paix regroupe un nombre d’individus issus des différents horizons sociaux, économiques et culturels, autour d’un nombre diversifié des jeux. Il a pour souci principal d’amener les personnes à construire entre elles une entente, une cohésion sociale qui servirait de socle pour une paix et un développement durables de la région des Grands Lacs.

Comme les individus qui prennent part dans la cour de jeux sont différents entre eux sur les aspects socioculturels, les jeux du festival des jeux pour la paix diffèrent également par leur fonctionnalité, leur règlement et les matériels nécessaires pour leur pratique. Cet outil d’éducation à la paix est comme le corps humain où l’ensemble des stations des jeux constitue les membres.

Les participants au festival des jeux pour la paix présentent des différences socioculturelles. Toutefois, ils sont appelés à se conformer aux règlements et normes de fonctionnalité de chaque jeu. Chaque jeu a son règlement et ses normes de fonctionnalité propres. Les animateurs des stations de jeu en informent les participants qui veillent à leur tour au strict respect en définissant également les sanctions en cas de contravention. Cela étant, la station devient une société régie par des modes démocratiquement acceptés.

Du point de vue de la structuration, le festival des jeux comprend les stations de jeux qui sont conduites par les animateurs des stations lesquels animent, motivent, convainquent et enseignent aux jeunes comment on exécute le jeu. L’ensemble des activités du festival est coordonné par les coordinateurs qui se partagent les rôles dans l’ordre suivant :

  • Le coordinateur général : il est responsable de la coordination générale de jeux ; il doit avoir une vue d’ensemble pour mieux contrôler et se rassurer que tout se passe bien.
  • Le coordinateur des stations de jeux : il a pour responsabilités de :
    • Développer le plan de terrain du festival de jeux avant le festival ;
    • Assister les animateurs du festival qui ont des difficultés dans l’exécution de leurs fonctions respectives pendant le festival ;
    • Prendre soin de la sécurité du festival des jeux, prévenir les accidents et les blessures sur le terrain, chasser les personnes non invitées notamment les enfants de la rue.
  • Le coordinateur du matériel, il a pour tâche de :
    • Contrôler le matériel en vue de la sécurité (contrôler si le matériel est bien monté, si c’est cassé ou endommagé et/ ou peut causer des accidents ;
    • Avant le festival, distribuer le matériel aux animateurs moyennant un reçu ;
    • Ramasser le matériel après le festival.
  • Coordinateur modérateur, ses responsabilités sont les suivantes :
    • Présenter le programme de la scène ;
    • Annoncer les jeux de grands groupes ;
    • Encourager les visiteurs de devenir participants.
  • Coordinateur des jeux de grands groupes : il est responsable de l’animation des jeux de grands groupes et assiste les animateurs de stations dans la motivation des participants.

Considérant ce qui est libellé ci-haut, c’est l’équipe des coordinateurs et des animateurs des stations des jeux qui édicte la réglementation spécifique au regard de son caractère non violent, de l’esprit de tolérance qu’elle véhicule, du respect mutuel entre les participants, et de la protection des matériels sur l’aire des jeux. Les jeux réunissant plusieurs personnes s’accompagnent souvent d’incidents, ce qui nécessite l’établissement des normes et règles techniques pour leur régulation tant au niveau de la conception, de l’installation que du déroulement.

Témoignage : C’est pour moi la première fois de participer à un événement de ce genre ! Cette organisation me surprend, a dit un participant ! Nous étions plus de cent personnes sur le terrain de jeux, chacun a participé sans qu’aucune station n’ait connu de désengagement d’acteurs. Tout le monde était engagé à jouer de façon participative et dans la solidarité tel qu’établi par les normes de jeux. En dehors de tout mécanisme de contrôle, chacun agissait conformément aux règles. Ceci prouve à suffisance qu’à travers les jeux tout, le monde respecte et intègre les normes et les principes sans trop d’efforts.

Témoignage : Divine, une jeune fille de Baraka nous a confié : « les normes de jeux du festival sont basées sur le respect mutuel, l’entraide et la tolérance entre les participants. Chaque participant cherche à plaire à ses partenaires et se concentre avec plaisir sur la passation des jeux et au changement de station de jeu  ». Une autre fille de la communauté de Banyamulenge de renchérir en ces termes : « je me sens libérée de la haine que je nourrissais contre les Babembe. Ces jeux me permettent de me dégager et avoir une nouvelle perception sur eux ».

La chanson de Monsieur l’abbé Matandiko de l’archidiocèse de Bukavu, sortie en 2001, lors du Symposium international sur la paix en Afrique a égayé les participants ainsi que le public qui se sont appropriés le message de son contenu adapté que voici :

Nous voulons la paix
La paix à Uvira
Le respect de l’Homme
Et la dignité
Le respect de droits
Et la liberté
La fraternité
C’est le camp de paix
C’est ça le RIO

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