L’analyse du contexte
septembre 11, 2017Centre Régional d’Appui et de Formation pour le Développement
septembre 11, 2017Peut-on sortir de la logique de la criminalisation ?
1. Une table de concertation permanente autour des enjeux du secteur minier
Pole Institute, après sa série d’études sur la problématique minière en RDC, a initié une rencontre ce mardi 9 mars 10 à Goma avec des représentants des opérateurs du secteur, des coopératives des creuseurs, des chefs coutumiers, des services publics et des partenaires du Sud Kivu et de l’Ituri en vue de dresser un état des lieux actualisé en vue d’envisager des stratégies qui vont dans le sens de la » construction « , c’est-à-dire la mise en place d’un processus qui, à terme, permettra de décriminaliser les ressources nationales pour qu’elles profitent véritablement aux Congolais.. A l’issue de la journée le principe d’une table permanente de concertation a été unanimement accepté avec les participants comme noyau de départ. La structure intégrera des représentants des communautés locales, des services publics, du secteur privé et de Pole Institute et ses partenaires impliqués dans cette problématique. Le mandat de ce cadre se décline en 3 volets principaux :
- Analyser les enjeux
- Dégager les propositions
- Construire un lobbying
2. Des chiffres qui dégringolent
Lorsqu’on évoque les mines de l’est de la RDC, on pense presque spontanément à Bisie, ce site dont sont extraits près de 80% de la cassitérite exportée de la province du Nord Kivu vers les pays consommateurs de ce minerai devenu stratégique en vertu de l’évolution de la technologie. Mais Bisie, c’est aussi une agglomération perdue au milieu de nulle part, une » cité sauvage « de plus ou moins 13000 personnes (creuseurs artisanaux, vendeurs de bière, restaurateurs, prostituées, etc) dont la vie est rythmée par des descentes et des remontées dans les puits miniers, sous la » garde » des éléments en armes dont l’identité varie selon l’évolution du contexte local, provincial ou national. C’est de là que provient cette précieuse cassitérite, creusée à la pelle, sous l’éclairage dérisoire d’une lampe de poche.
Transportée à dos d’homme – et souvent de femme- vers Njingala, le centre de négoce le plus proche, à 8 heures de marche et à 4 barrières de là, la cassitérite poursuivra son long voyage vers Walikale centre, d’où décollera de la route un petit avion venu de Goma, avant de se retrouver dans des fonderies lointaines en Belgique, en Thaïlande ou en Malaisie. Mais qu’est-ce qui reste à Bisie, quelles dividendes les populations locales tirent-elles de l’exploitation des entrailles de leur terre ? Pas grand chose. Comme dans tous les sites d’exploitation artisanale en RDC, la misère est le lot quotidien de ces nouveaux damnés du sous-sol, appelés ici creuseurs.
Pire, selon les statistiques de la Division provinciale des Mines du Nord Kivu, la courbe de la production du site de Bisie est en chute libre depuis les trois dernières années. En effet, celle-ci est passée successivement de 20 tonnes par jour en 2008 à 15 tonnes en 2009 et à 3,5 tonnes en 2010. » Ce site de Bisie ne sera plus opérationnel d’ici 10 ou 20 ans « , estime le Chef de Division des Mines du Nord Kivu. Mais plus que la qualité de la mine elle-même, ce sont les conditions d’exploitation qui sont à la base de cette baisse de rendement, notamment le manque de matériel adapté pour évacuer les eaux souterraines, l’absence d’un système d’aération et le manque d’électricité. En améliorant les conditions de travail des creuseurs, on améliorerait du même coup le rendement de la mine de Bisie.
Mais avec la culture du ramassage et de la cueillette fortement ancrée dans notre pays, qui pense à investir dans ce sens ? Nous avons assisté pendant la dictature de Mobutu et sous les différents régimes qui ont suivi à la cannibalisation des sociétés minières qui avaient pourtant contribué à l’enrichissement des hommes au pouvoir. De la GECAMINES au Katanga, il ne reste qu’un squelette qu’on ne finit pas de désosser ; quant à la MIBA, l’ex-fleuron de l’industrie diamantifère au Kasaï, elle a disparu corps et biens, tout simplement. Qui va s’occuper de Bisie, qui e compte pas la moindre infrastructure ?
3. Les mines du Nord Kivu : une opportunité ou une menace ?
La province du Nord Kivu n’est pas à proprement parler une région à économie minière, comme le sont le Kasaï et le Katanga que nous venons d’évoquer. Le Nord Kivu était plutôt connu, jusqu’à un passé récent pour la fertilité de ses terres où prospéraient les activités agro-pastorales. L’économie minière était localisée, essentiellement dans des sites comme Lueshe où la société SOMIKIVU exploitait le pyrochlore ou informelle et diffuse comme l’extraction et la commercialisation de l’or dans le territoire de Lubero, au nord. Une infime partie de la population était donc impliquée dans ce secteur, que les méthodes du Mobutisme avaient du reste criminalisé au point que la possession d’un grain d’or ou de toute autre matière minérale était source de beaucoup d’ennuis si les services de sécurité en attrapaient le propriétaire indélicat.
A partir des années 1990, la province du Nord Kivu entre dans un cycle d’insécurité qui commence avec les conflits interethniques sanglants dans les territoires de Masisi et de Rutshuru et qui va culminer dans les guerres successives de 1996 qui aboutira à la chute de Mobutu et celle de 1998. L’économie agricole en prend un coup très rude avec les pillages des élevages et le déplacement des populations qui cessent d’être des producteurs pour vivre comme des assistés dans des camps. C’est aussi à cette période que sont découverts les gisements de coltan dans le territoire de Masisi dont le boom interviendra en 2000. Les retombées sur les revenus de certains ménages sont réelles, même si ce contexte de guerre obligera la plupart à investir dans les villes plus sécurisées comme Goma, où des quartiers entiers sortiront de terre sous l’effet coltan.
Cependant, il n’y a pas que les populations civiles qui tirent profit de ce secteur minier découvert opportunément pour suppléer le déclin du secteur agricole. Les différents mouvements rebelles qui pullulent à l’est de la RDC, les forces armées régulières (FARDC), les bandes armées étrangères (FDLR, ADF-NALU) en bénéficient également, soit directement en procédant à tout le processus, de l’extraction à la commercialisation, soit indirectement en prélevant des taxes sur les flux dans les espaces sous leur contrôle, soit en alliant les deux procédés. Cette implication des hommes et des groupes armés dans le secteur minier, par ailleurs soupçonnés ou accusés de graves violations des droits humains (massacres, viols, pillages, etc) est à l’origine de la mise à l’index des minerais de l’est de la RDC et à la stigmatisation quasi générale des opérateurs économiques de ce secteur.
Différents rapports d’ONG et des experts de l’ONU ont ainsi dénoncé les hommes, les entreprises et autres structures qui financent la guerre en entretenant des relations commerciales ou d’allégeance avec les groupes armés suspects. L’essentiel des recommandations de ces rapports externes, dont la ligne de travail est essentiellement la dénonciation, va systématiquement dans le sens de l’embargo pur et simple des ressources minières de l’est de la RDC. Cette criminalisation du secteur minier du Nord Kivu et sa mise au ban du commerce international ne va pas sans conséquences pour l’économie locale et nationale.
En effet, dans le contexte de crise et des conflits que cette province a traversés -et traverse encore-, les minerais ont rapporté près de 2/3 des revenus en 2006, avant que les effets conjugués de la crise économique mondiale, du lobbying pour l’embargo et des contradictions de la législation congolaise ne ramène cet apport à presque rien. Certains comptoirs ont mis la clé sous le paillasson, les autres se débattent tant bien que mal. Ainsi, la production de la cassitérite a chuté de 733,4 tonnes en janvier 2009 à 395,5 tonnes en janvier 2010. La morosité ambiante est perceptible et l’argent ne circule plus à Goma ou à Bisie comme naguère.
Nous sommes donc en face d’une économie minière qui a fini par s’imposer comme un complément à défaut d’être un substitut à l’économie agricole mais qui doit montrer patte blanche, arborer une attestation de » conflict free « pour chaque colis exporté, s’il veut être compétitif sur le marché international. Des initiatives sont prises dans ce sens par les opérateurs économiques locaux à travers la Fédération des entrepreneurs du Congo (FEC), les organisations régionales comme la CIGRL et des bailleurs de fonds comme la GTZ pour assurer et rassurer quant à la traçabilité et à la transparence du flux des minerais de l’Est de la RDC. » Des avancées sont enregistrées chaque jour, nous sommes résolument impliqués dans la recherche des solutions à tous ces problèmes, mais nos efforts ne sont pas pris en compte par les rapports des ONG « , déclare John, opérateur économique, avec amertume. Et d’ajouter : » Ils agissent comme si la situation sur le terrain était statique, alors qu’elle est dynamique « . La traçabilité est effective, selon la même source, du négociant au consommateur final soit, très schématiquement, de Njingala à Bruxelles, Beijing ou à Kwala Lumpur. Mais du puits à Njingala, c’est le règne de l’ombre !
Onesphore Sematumba
11 mars 10
© Source Pole Institute – www.pole-institute.org